Le Pen-Sarkozy. La justice peut-elle censurer la justice ?
Le Pen-Sarkozy, même fracas ! A six mois d’intervalles, la justice a provoqué une double déflagration en condamnant sévèrement deux des plus hautes personnalités politiques du pays. Et des dirigeants de la planète entière ont été interloqués par ces cinq ans de prison ferme infligés à un ex-président, assortis d’une mise sous les verrous à peine reportée de quelques semaines.
A affaires exceptionnelles, procédures exceptionnelles. L’institution judiciaire va réduire les délais habituels pour que les jugements en appel soient prononcés au plus vite. Et la question se pose : les deux condamnés ont-ils des chances de voir les jugements de première instance réformés par les juges d’appel ? A vrai dire, elles sont minces. Très minces. La raison ne tient pas seulement aux charges que les magistrats ont pu relever à leur encontre. Elle tient aussi au retentissement inouï que ces affaires ont provoqué et aux flots d’accusation contre l’institution judiciaire. On n’avait encore jamais entendu une double charge aussi virulente, adressée directement et même nommément, à l’encontre de magistrats. Avec des accusateurs demandant la révision de deux procès hors normes.
Et justement : ainsi mise en cause dans le fondement-même de son fonctionnement, comment peut-on croire que la justice va censurer la justice ? Comment peut-on imaginer que les juges d’appel se lanceront dans une démarche de révision alors que la justice française répugne tant à réviser les grandes décisions judiciaires. Les Bretons sont bien placés pour savoir qu’une dizaine de demandes de révision ont été déposées dans la retentissante affaire Seznec mais malgré les preuves de falsification de documents à son encontre, rien n’y a fait.
Ce serait donner raison
à leurs détracteurs
Que les juges d’appel reconnaissent que leurs collègues de première instance ont fait fausse route, ce serait donner raison à toute la hiérarchie du RN qui n’a pas eu de mots assez durs pour accabler les juges qui ont condamné Marine Le Pen. Ce serait approuver le réquisitoire en règle de Sarkozy contre les magistrats qui ont instruit son dossier. Et par effet de souffle, cela déclencherait une crise au sein même de l’institution judiciaire qui se trouverait singulièrement fragilisée par des jugements d’appel révisant les décisions de première instance sur des affaires aussi retentissantes. Tout cela est trop gros pour être rayé d’un trait de plume. Dans un pareil climat, la justice peut-elle censurer la justice sans en payer elle-même le prix fort ?
Comme l’armée défend l’armée et la police défend la police, il ne fait pas de doute que la justice va défendre la justice. On a d’ailleurs pu en avoir une première illustration avec la mobilisation de nombreux membres du syndicat de la Magistrature, présents sur tous les plateaux télé au lendemain des accusations proférées par Sarkozy. Plus l’attaque est violente, plus la défense sera résistante. A ce jour, Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen ont donc à peu près autant de chances de voir leurs jugements réformés que Guillaume Seznec d’être réhabilité.
Pour le jugement annexe la condamnant aussi à cinq ans d’inéligibilité (en plus des quatre ans de prison, dont deux avec sursis), la présidente du RN pourrait toutefois passer par un trou de souris. Que les juges ramènent sa peine d’inéligibilité de cinq à deux ans, pour ne pas entraver l’élection présidentielle en la privant de la dirigeante de l’actuel premier parti de France. Entre le premier jugement et l’élection présidentielle de 2027, il se sera écoulé plus de deux ans. Elle pourrait donc se présenter. Mais elle dit avoir d’autres options sous la main.