Trop forts, les sondeurs !

Après les médecins pour le covid et les généraux pour la guerre d’Ukraine, voilà les sondeurs qui colonisent les chaînes d’info et les pages des quotidiens. Ils viennent à tour de rôle nous apporter leurs lumières sur un paysage politique brouillon ou, à défaut de grandes idées nouvelles, on se déporte vers des élections virtuelles à dix huit mois de la présidentielle, vers la cote de chaque concurrent potentiel et bien entendu le palmarès des problématiques les plus urticantes pour les Français. Rien qu’avec cela, il y a de quoi faire des émissions à la pelle.

Mais le sondage n’est plus l’apanage des grands médias nationaux, il fait aussi une entrée remarquée dans la vie politique locale, comme on l’a vu à Brest récemment où deux sondages successifs, à l’initiative de partis politiques (Ps puis écologistes) ont plus structuré le début de la campagne que cinq débats publics. Il est vrai que le sondage est désormais à la portée de presque toutes les bourses politiques tant le low-cost a, là aussi, fait du chemin. Jadis il fallait avoir des sondeurs sur le terrain pour aller de vive voix interroger la population. Puis il y eut le sondage par téléphone et maintenant par internet, l’option la meilleure marché et donc la plus rentable pour des sociétés qui ne s’embarrassent plus trop des normes de la profession. Longtemps, l’échantillon de 1000 personnes interrogées est restée la strate minimum, aujourd’hui avec 500 sondés sur un panel très approximatif, certaines sociétés vous livre un sondage-express à la fiabilité d’autant plus aléatoire que ces enquêtes donnent généralement un résultat favorable au parti politique qui a passé commande. Et sont même parfois accompagnées d’une « queue de sondage » dans laquelle est posée une question supplémentaire pour un sondage sur un autre sujet. Il n’y a pas de petit profit.

« Une cible dans le dos »

Mais ces sondages ont aussi tendance à peser très directement sur le débat public, au point même de devenir eux-mêmes l’évènement. Celui sur les musulmans en France, récemment publié par l’Ifop, a provoqué un ramdam orchestré par LFI car ses résultats ne correspondaient pas aux tendances que le parti de Mélenchon avance régulièrement. Le directeur de l’Ifop , Frédéric Dabi (photo) a même décidé de porter plainte contre deux députés LFI, les accusant « d’avoir mis une cible dans le dos ». Mais ce sondage a aussi entraîné une protestation de plusieurs associations musulmanes mettant en cause la bonne foi de l’institut de sondage. Ambiance… De l’autre côté de l’échiquier, on constate de jour en jour que ce sont les sondages qui sont en train d’arbitrer le match entre Le Pen et Bardella, en donnant à ce dernier une prééminence de plus en plus manifeste, sans que les militants aient à trancher.

Un autre sondage vient également de faire l’événement : celui sur le ras-le-bol fiscal. Quatre Français sur cinq en ont ras le bonnet et en s’invitant sur les plateaux télé, les sondeurs en ont fait des tonnes comme s’il y avait là une déferlante soudaine. Or que constate-t-on en regardant les chiffres de près ? Que ce ras le bol est exprimé par 78 % des sondés mais qu’en 2023, ils étaient 75 % à dire la même chose ! De 75 % on est modestement passé à 78 %, malgré l’avalanche fiscale qui a transformé notre Assemblée en foire à la saucisse. Certains jours, c’était même la fête du boudin.

Malgré cette pression fiscale saisonnière et le petit geste commercial du « trait de plume » sondagier ajouté souvent, le résultat passe de 75 % à 78 %. Mais les sondeurs ont médiatiquement arrondi à 80 % (quatre Français sur cinq) pour faire bonne mesure, et ont réussi à faire la une des chaînes télés et de tous les médias avec un non-événement arithmétique. Trop forts, les sondeurs !

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