La Bretagne paie-t-elle l’affaire Le Duff ?
183 millions d’investissements économiques en Bretagne, réalisés ou décidés cette année. Mais 1,51 milliard en Normandie et 1,85 milliard dans les Pays-de-la-Loire. Dix fois plus ! Choose France, le grand-rendez vous des investisseurs français vient d’ accoucher d’une carte au chiffrage très contrasté pour l’Ouest du pays. La Bretagne semble comme écrasée entre ses deux grands voisins, régions phares pour les investissements à venir, alors que la péninsule bretonne doit se contenter de l’un des plus faibles programmes du pays. En métropole, seul le Centre Val-de-Loire fait moins bien.
Ce contraste dans l’Ouest, passé un peu inaperçu au moment de la conclusion de Choose France, est trop accentué pour ne pas poser de question. Pourquoi un tel écart entre régions voisines ? Certes, la Bretagne est la région la moins pourvue en investissements étrangers. Quand il regarde la carte de l’Europe ou même seulement de la France, ce n’est pas vers la Bretagne que se tourne spontanément le regard d’un candidat à l’installation. Le Choose France de cette année ne concernait cependant que les investissements français, sans doute moins géographiquement sélectifs. Et pourtant le constat est sévère pour la péninsule bretonne.
La population opposée au projet
Alors une question se pose : la Bretagne paye-t-elle l’affaire Le Duff ? Elle a fait du bruit, à partir de 2022, quand ce milliardaire breton, photo ci dessus, patron d’un groupe (2 milliards de chiffre d’affaires) dont le siège mondial est à Rennes, a lancé son projet de créer une usine et 500 emplois à Liffré dans la grande ceinture rennaise. Mais il l’a finalement retiré devant l’opposition de la population et l’affaire a eu un grand retentissement au niveau national. Comment une région peut-elle s’opposer à l’implantation d’une unité de production de 500 emplois ?
La réponse tient en deux points : d’un côté, un investisseur voulant s’implanter dans une zone naturelle, en lisière d’un grand bois, en artificialisant 30 hectares de nature. De l’autre, un secteur qui a atteint le plein emploi et où l’arrivée de centaines de nouveaux postes ne valait pas, selon la population locale, une telle artificialisation des sols alors que les villes périphériques ont déjà poussé comme des champignons, dans le sillage de milliers d’emplois tombant du ciel avec la révolution numérique. L’opposition à son projet a été trop forte. Louis Le Duff avait dans un premier temps, envisagé l’Espagne pour site de repli mais, finalement, c’est à Falaise en Normandie qu’il investit 100 millions d’euros dans la viennoiserie.
Cet épisode a été fortement médiatisé. Une région Bretagne qui refuse 500 emplois, ce n’est pas fréquent. Et n’est-ce pas là qu’on peut trouver un élément de réponse à la faiblesse des investissements programmés dans les prochaines années ? Les candidats à l’installation ont-ils blacklisté la Bretagne, région d’irréductibles faisant front à des centaines d’emplois quand d’autres déroulent le tapis rouge ?
Le conseil régional ne va pas pouvoir faire l’économie d’une réflexion sur le sujet. Si les investisseurs tournent maintenant le dos à la région rennaise, ce sera encore plus compliqué de les faire venir plus loin. Une première réponse passe peut-être dans le mise en valeur, par le conseil régional, de tout le potentiel offert par la Bretagne centrale qui dispose encore d’une importante réserve foncière, à quelques dizaines de kilomètres de Rennes, côté ouest, avec une voie express dont les travaux s’achèvent enfin. Et des opportunités d’une main d’œuvre qui s’éloigne de plus en plus des zones littorales devenant inaccessibles aux revenus modestes.
Urgent sujet de réflexion pour les élus régionaux avec, en toile de fond, cette lancinante question : avec l’affaire Le Duff, la Bretagne s’est-elle tiré une balle dans le pied ?