« Rat-l’bol » entre CGT et patronat
En un siècle de frictions, il est arrivé bien souvent que la CGT et le patronat s’envoient des noms d’oiseaux. Sous la IIIe République, les termes de vautours ou de rapaces étaient d’usage courant. Mais de nos jours, où la judiciarisation de la société a aussi gagné le débat public, voici qu’un mouvement patronal a décidé de porter plainte contre la secrétaire nationale de la CGT, pour injure publique.
Sophie Binet a été mise en examen, procédure quasi-automatique dans ce cas, pour avoir déclaré à la radio que les « rats quittent le navire » après des propos de Bernard Arnault, Pdg du groupe LVMH, mettant en garde contre les surtaxes décidées par l’Assemblée, au risque d’entraîner des délocalisations. Le mouvement patronal ETHIC (Entreprises à taille humaine, indépendantes et de croissance) qui revendique 250 entreprises, a ainsi voulu marquer le coup, en portant plainte pour juguler des dérives dans le débat public. Un « rat-l’bol ! », en quelque sorte.
Dans le bestiaire politique, « rat » est assurément un mot injurieux au même titre que crapaud, ver de terre ou le fameux « vipère lubrique » qui eut son heure de gloire au temps de l’URSS. Si elle avait dit, « les patrons sont des rats », l’injure publique était caractérisée. Et condamnable. Mais peut-on en dire autant de l’expression « les rats quittent le navire » qui, à l’origine, signifie que le bateau va sombrer et qu’en conséquence, les rats sont les premiers à se faire la malle ?
En l’occurrence, les rats ne sont pas directement visés au titre de nuisibles, comme ils le sont depuis des millénaires par les humains, mais ne sont qu’un indicateur de la situation d’urgence, ce qui relativise la portée des propos d’une Sophie Binet revendiquant le droit à la liberté d’expression syndicale. Mais surtout, cette formule est tellement entrée dans le langage courant qu’elle fleurit à tout bout de champ quand des responsables d’une association défaillante décident de s’en aller ou que des dirigeants d’un club de foot rendent leur tablier parce que leurs joueurs sont des brêles qui ont mis le club en péril.
Alors les juges, qui hélas n’ont pas que cela à faire en ce moment, vont devoir trancher, du moins si l’affaire n’est pas classée d’ici-là. Vont-ils considérer que les patrons ont été traités de rats où, au contraire, estimer que cette expression populaire est trop entrée dans le langage courant pour constituer une injure publique caractérisée ? Avec ce qu’ils entendent tous les jours, on est tenté de penser qu’ils vont plutôt juger que cette expression est certes très déplaisante mais qu’avec cette histoire de rats, il n’y a quand même pas de quoi fouetter un chat.